Lui

Chapitre 1: Souvenirs Envolés et Retrouvés
Paris, 15 mai 1810.
La matinée était d'une clarté cristalline, où le soleil semblait jouer entre les feuilles des arbres des boulevards, créant un motif de lumière et d'ombre qui dansait sur les pavés. Dans cette ville de lumière, où chaque pierre et chaque ruelle semblait raconter une histoire ancienne, Julie, une jeune femme de stature élégante et au regard empreint de nostalgie, vivait dans un hôtel particulier. Ce jour-là, sa servante Rosette, présenta à Julie une enveloppe. C'était un objet singulier, porteur d'une énigme – non pas par son contenu, mais par l'élément qui l'accompagnait. Une petite fleur, d'une espèce que Julie n'avait vue qu'en un lieu, là où les rêves se mêlent à la réalité, dans les terres lointaines de Saint-Domingue, désormais connues sous le nom d'Haïti. En ouvrant l'enveloppe, le parfum de la fleur s'éleva, tel un fantôme de souvenirs, enveloppant Julie dans un voile de mélancolie. Les mots tracés sur le papier firent naître sur son visage une expression d'étonnement, comme si chaque lettre était un fil tissant une toile de mystère et de révélation. Elle pressa la lettre contre sa poitrine, fermant les yeux, se laissant emporter dans les méandres de sa mémoire. Et alors, comme si le temps lui-même s'était replié, la scène se dissout, s'ouvrant sur une autre époque, un autre monde...
On est en 1790, l'année où Julie, alors une jeune fille au cœur rempli de curiosité et d'espoir, débarqua à Saint-Domingue. Le voyage depuis la France avait été un périple interminable, une traversée où l'océan lui-même semblait raconter ses propres légendes, murmurant des histoires de créatures cachées dans ses profondeurs et de navires engloutis tenant encore dans leurs épaves des trésors oubliés. Saint-Domingue se révéla à elle dans toute sa splendeur tropicale, un tableau vivant où la nature s'exprimait avec une exubérance sans retenue. Les arbres s'élevaient vers le ciel, leurs feuilles caressées par la brise, les fleurs éclatantes déployaient leurs pétales comme s'ils cherchaient à capturer chaque rayon du soleil. Mais ce paysage, aussi magnifique soit-il, portait en lui les cicatrices d'un monde troublé, où l'ombre de la colonisation et les murmures de révolte commençaient à s'entremêler aux chants des oiseaux et au bruissement des feuilles.
Lors de son arrivée, l'étreinte de sa famille enveloppa Julie d'une chaleur qui semblait tempérer l'humidité omniprésente de l'île. Julie pénétra dans la salle à manger où ses parents l'attendaient, l'air empreint d'une curiosité bienveillante. Sa mère fut la première à rompre le silence. "Ma chère Julie, comment as-tu trouvé la traversée ? Les flots ont-ils été cléments avec toi ?" demanda-t-elle, ses yeux scrutant le visage de sa fille à la recherche de la moindre trace de fatigue.
Julie sourit, un sourire teinté de la nostalgie des jours en mer. "La mer avait ses humeurs, mère. Il y avait des jours où elle dansait avec le vent, et d'autres où elle semblait porter le poids du monde. Mais chaque jour apportait son lot de merveilles." Son père, un homme de peu de mots , ajouta : "Et Paris ? Te manque-t-il déjà ?" "Paris sera toujours dans mon cœur, père. Mais je suis ici pour découvrir le monde que vous avez bâti, pour comprendre cette terre qui est désormais une partie de moi," répondit Julie, ses mots portant un mélange de détermination et de tendresse.
Mais au-delà des retrouvailles chaleureuses et des sourires réconfortants, l'œil de Julie, habitué à la subtile palette de nuances de Paris, ne put éviter de capturer l'autre réalité qui se déployait devant elle. Les esclaves, figures d'une endurance silencieuse, se mouvaient avec une dignité qui semblait défier leur condition. Leurs yeux, des puits profonds d'histoires non dites, de douleurs tues et d'espoirs tus, parlaient d'une existence où chaque jour était une lutte, un acte de résistance contre l'oubli. La surprise de Julie fut palpable lorsqu'elle découvrit l'attitude de son père envers les esclaves. Contrairement aux récits brutaux et sans merci souvent associés aux colons, il manifestait une aversion claire pour le fouet, préférant la parole à la punition, le respect à la répression. Cette approche, si éloignée des images véhiculées à Paris, insufflait à l'atmosphère de la plantation une nuance inattendue, complexifiant le tableau que Julie se faisait de cette terre chargée de contradictions. La chaleur de Saint-Domingue était un personnage à part entière, une présence enveloppante et insistante qui imprégnait chaque instant. La différence avec la douceur climatique de Paris était frappante. Chaque souffle ici semblait être un mélange d'odeurs de terre humide, de sel marin et de verdure luxuriante, un air saturé de vie, parfois lourd, mais toujours vibrant d'une énergie indomptable. Deux jours après son arrivée, l’idée de s'aventurer hors des limites de la demeure familiale, chevauchant à travers les paysages luxuriants de l'île repassait sans cesse dans sa tête.
Le cheval était nécessaire pour sa promenade, alors Julie s'approcha auprès d'un des esclaves qui s'occupait des écuries. Il était plus âgé, ses mains racontant une histoire de dur labeur et de persévérance. "Je vais me promener près du fleuve. Y a-t-il quelque chose que je devrais savoir, quelque conseil que vous pourriez me donner ?" demanda-t-elle avec un respect sincère dans sa voix.
L'homme leva les yeux, un éclat de sagesse brille dans son regard. "Madémoiselle Julie, la nati ici est douce, mais attention dans les bois," répondit-il, avec un léger sourire dessiné sur son visage marqué par le temps.
Julie hocha la tête, touchée par la simplicité de ses mots. "Je vous remercie. Votre sagesse me guide," dit-elle.
Elle monta en selle, ses doigts caressant doucement la crinière de son cheval. Ensemble, ils s'élançaient vers l'inconnu, traversant les prairies verdoyantes où l'herbe ondulait comme une mer sous le souffle du vent. Les rayons du soleil, filtrés à travers le feuillage des arbres, dessinaient des ombres dansantes sur le sol, créant un spectacle de lumière et de couleur qui semblait tout droit sorti d'un rêve. Les plantations de canne à sucre s'étendaient à perte de vue, leurs tiges hautes et élancées se balançant doucement au rythme de la brise. L'air était imprégné du doux parfum de la canne fraîchement coupée, mêlé à celui des fleurs sauvages qui poussaient en bordure des champs. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, Julie sentait son cœur s'emballer d'excitation et d'émerveillement. La beauté brute de la nature qui l'entourait, avec ses couleurs éclatantes et ses sons apaisants, la transportait dans un état de béatitude pure, où chaque instant était une révélation, une célébration de la vie dans toute sa splendeur. Les rivières, à travers les terres fertiles, semblaient murmurer des secrets millénaires, des histoires d'amour et de perte, de lutte et de triomphe.
Julie écoutait attentivement, chaque bruissement de feuille, chaque chant d'oiseau, chaque souffle du vent lui révélant un fragment de la richesse et de la complexité de ce monde. Son périple la mena près d'un fleuve, un ruban d'eau scintillant qui serpentait à travers la terre comme une veine vitale.
C'est là, dans ce cadre où la nature déployait son spectacle dans une tranquillité presque onirique, qu'elle aperçut la silhouette d'un homme. Son corps, émergeant des eaux tranquilles du fleuve, semblait faire corps avec les éléments, une incarnation de la force et de la beauté naturelles. La lumière du soleil, filtrée à travers les frondaisons, jouait sur son torse robuste, le drapant d'un manteau de lumière et d'ombres, accentuant chaque courbe et chaque muscle sculpté par une existence de labeur ininterrompu. Ses bras, puissants et définis, témoignaient d'une force tranquille, d'une capacité à affronter les tempêtes et à en émerger inébranlable. Et puis, il y avait cette découverte, inattendue et troublante pour Julie – ses fesses, d'une forme rebondie et harmonieuse, capturaient l'essence même de la beauté masculine dans sa forme la plus pure, une révélation qui, pour elle, était aussi exotique qu'envoûtante. L'instant se figea lorsque l'homme se tourna, son regard capturant celui de Julie. Ce fut un moment suspendu hors du temps, une rencontre silencieuse où se mêlaient curiosité, surprise, et une étrange forme de reconnaissance mutuelle. Le cœur de Julie s'emballa, tandis que l'homme demeurait immobile, son regard plongé dans le sien. Entre eux, au bord de ce fleuve, se dressait un pont invisible, bâti de mystères non élucidés. Soudain, le cheval se cambra brusquement, surprenant Julie et provoquant sa chute imminente...
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Chapitre 2: Les regards
Julie flottait dans un océan de ténèbres, les battements de son cœur résonnant comme des vagues dans sa tête. Elle avait l'impression d'être tirée dans un rêve par la force de ses propres pulsations, comme si son cœur cherchait à la ramener à la surface de la conscience. Dans cet état intermédiaire entre le sommeil et la réalité, elle perçut une voix lointaine, douce comme un souffle dans le vent, qui murmurait dans un écho au loin : "N'aie pas peur"
Les mots semblaient se mêler au bruit du fleuve, une symphonie apaisante qui berçait son esprit troublé. Une migraine sourde pulsait dans ses tempes, faisant tanguer ses sens dans un tourbillon de confusion. Elle était appuyée contre un arbre, comme si on l'avait déposée là avec précaution. Lorsqu'elle ouvrit enfin les yeux, elle vit l'homme noir qu'elle avait aperçu auparavant, vêtu cette fois d'un pantalon et d'une chemise dont les manches avaient été arrachées. Il tenait le cheval par la bride, murmurant quelque chose à son oreille avec une tendresse inattendue. L'homme portait une attention particulière à l'animal, le caressant avec une douceur qui contrastait avec sa stature imposante. Les muscles de l'animal se détendaient sous ses mains expertes, ses yeux exprimant une confiance tranquille.
Et puis, l'homme tourna son regard vers Julie et vit qu'elle était réveillée. Un sourire chaleureux éclaira son visage, illuminant ses traits dans la lueur du crépuscule.
"Bonsoir, mademoiselle," dit-il d'une voix douce, son français parfaitement articulé résonnant dans l'air .
Julie cligna des yeux.
"Comment vous sentez-vous ?" demanda-t-il avec préoccupation, son regard perçant sondant le sien.
Elle baissa les yeux, se sentant un peu désorientée.
"Un peu étourdie," répondit-elle finalement, ses mots sortant un peu bredouille.
L'homme s'inclina légèrement, une lueur d'amusement dans ses yeux.
"Je m'appelle Louis," dit-il. "Et vous, mademoiselle ?"
"Julie ," répondit-elle après un moment d'hésitation, observant l'homme avec une certaine méfiance mêlée à une curiosité croissante.
Louis esquissa un sourire, un mélange de fierté et de modestie dans son regard.
"Enchanté, Mademoiselle Julie ," dit-il. "Je m'excuse pour les circonstances peu orthodoxes de notre rencontre."
Julie fut frappée par la manière dont Louis s'exprimait dans un français très convenable, digne d'un noble.
"Comment avez-vous appris à parler français aussi bien ?" demanda-t-elle, l'étonnement perçant sa voix.
Un sourire en coin se dessina sur les lèvres de Louis. "J'ai eu la chance d'avoir eu une éducation qui m'a permis d'apprendre à lire et à écrire," répondit-il simplement.
"Un prêtre, avec la permission de mon ancien maître, a pris la peine de m'enseigner les subtilités de la langue."
Les yeux de Julie s'écarquillèrent d'étonnement. "Et vous n’êtes pas un esclave?" demanda-t-elle, intriguée.
“Non, je suis affranchi”, répondit-il
“Vraiment? Et depuis quand?”, demanda Julie qui avait entendu lors de son voyage le terme affranchi désignant un esclave dont le maitre avait accordé la liberté.
Il inclina légèrement la tête. "Deux ans déjà," répondit-il, une lueur de fierté dans son regard. "Mais chaque jour est un nouveau défi, une nouvelle opportunité de découvrir qui je suis vraiment."
Une tristesse fugace traversa le visage de Louis, l'espace d'un instant, comme si la dernière phrase avait rouvert une cicatrice intérieure. Il tendit la main pour aider Julie à se relever, ses yeux exprimant une compassion silencieuse.
"Permettez-moi de vous accompagner, mademoiselle," dit-il d'une voix douce.
Julie se leva avec son aide, "Séguin," déclara-t-elle soudainement, révélant son nom de famille.
Un silence pesant s'abattit entre eux, chargé de significations non dites. Louis sembla figé sur place, son expression empreinte de surprise et de confusion.
"Séguin..." répéta-t-il à voix basse.
"Pourquoi cette réaction ?" demanda Julie, déconcertée par le changement soudain dans l'attitude de Louis.
"C'est le nom de mon ancien maître," répondit-il finalement.
Louis aida Julie à remonter en selle, prenant la bride avec une aisance naturelle. Cette fois-ci, ce serait lui qui la guiderait. Julie, se sentait soudainement nerveuse en remontant en selle.
"Sois gentil cette fois, cher cheval," murmura-t-elle, espérant éviter un autre incident désagréable.
Un sourire amusé étira les lèvres de Louis. "C'est une jument, mademoiselle," rectifia-t-il doucement.
Julie sentit la chaleur de l'embarras lui monter aux joues.
"Pardonnez-moi," balbutia-t-elle, se sentant un peu idiote d'avoir commis une telle erreur.
Louis secoua la tête avec un léger rire. "Ne vous en faites pas, mademoiselle. Les chevaux ne portent pas de rancune," dit-il en souriant.
Julie se replongea dans ses pensées, se demandant si la jument avait été aussi surprise qu'elle par cette partie du corps de Louis qu'elle avait remarquée... Elle secoua la tête comme pour chasser cette vision, et à ce moment précis, la jument fit de même, comme si elles étaient synchronisées.
Un sourire amusé étira les lèvres de Louis. "Il semblerait que vous et la jument soyez connectées d'une manière étrange," commenta-t-il, brisant le silence avec légèreté. La dernière remarque de Louis fit sourire Julie, qui rougit légèrement sous son regard bienveillant. Elle se senta étrangement à l'aise en sa présence.
Curieuse de connaître plus en détail cette terre qu'était Saint-Domingue, Julie interrogea Louis.
"Louis, pourriez-vous me parler de Saint-Domingue ?" demanda-t-elle, son regard empreint de curiosité.
Louis hocha la tête, un sourire mélancolique jouant sur ses lèvres. "Saint-Domingue... C'est une terre à la fois magnifique et impitoyable," commença-t-il, ses yeux perdus dans le lointain. "Les paysages sont à couper le souffle, mais la vie peut être dure, surtout pour ceux qui n'ont pas la chance d'avoir un bon maître."
Julie écouta attentivement ses mots, absorbant chaque détail avec fascination. "Et comment était votre vie avant ?" demanda-t-elle doucement.
Louis soupira, . "Ce n'était pas facile," avoua-t-il. "Je ne comprenais pas la langue, et les autres esclaves ne parlaient pas la mienne. J'étais souvent seul, isolé dans un monde qui me semblait étranger."
Julie sentit une pointe de tristesse l'envahir en entendant le récit de Louis. "Et comment avez-vous survécu ?" demanda-t-elle, sa voix teintée d'empathie.
Louis esquissa un sourire amer. "Certains d'entre nous communiquaient par des signes, essayant de se comprendre malgré la barrière de la langue. Et puis, il y avait des gens comme Maître Alexandre Séguin et le prêtre Clément, qui ont eu la bonté de m'apprendre à lire et à écrire." Ce nom fit briller les yeux de Julie. "Le prêtre Clément est mon oncle," révéla-t-elle, une lueur de fierté dans sa voix.
Louis sembla surpris. "Vraiment ?" murmura-t-il, un sourire chaleureux étirant ses lèvres. "Le prêtre me cachait bien des choses finalement."
Julie, émerveillée par ses récits, le questionna sur sa famille.
Louis, les yeux perdus dans ses souvenirs lointains, répondit avec une pointe de tristesse : "Je crains de ne pas avoir de famille à proprement parler. Je ne me souviens pas d'où je viens ni de qui je suis."
Julie sentit une boule se former dans sa gorge, touchée par la peine dans les yeux de Louis. "C'est terriblement triste," murmura-t-elle, sa voix empreinte de compassion.
Louis hocha lentement la tête, ses pensées encore ancrées dans le passé.
"Il y a quelque chose que je n'arrive pas à oublier," confia-t-il à Julie. "Un rêve récurrent qui hante mes nuits depuis aussi longtemps que je me souvienne."
"Dans ce rêve, je vois une belle femme noire, comme moi," commença Louis, sa voix teintée d'émotion. "Je l'appelle 'nné', et je suis convaincu qu'elle est ma mère. Sa simple présence m'apporte une paix indicible."
Julie écouta avec attention, captivée par le récit de Louis. "Mais ce rêve est souvent interrompu par un cauchemar," poursuivit-il, son visage se troublant légèrement. "Je me retrouve alors plongé dans les ténèbres, le tonnerre grondant autour de moi. Je crie quelque chose, mais le son reste inaudible."
Une tension pesante s'installa entre eux, chacun absorbé par les tourments intérieurs de l'autre. Julie sentit une bouffée d'empathie l'envahir, une envie irrésistible de réconforter Louis dans sa détresse. "Louis, je suis désolée," dit-elle doucement. Pour un bref moment, ils oublièrent leurs différences sociales et se lièrent autour de leur désir commun de cette conversation qui prit fin quand Louis annonça qu'ils étaient arrivés sur les plantations de son père.
Alors qu'ils approchaient des plantations de canne à sucre, la lumière du jour commençait à décliner. Au loin, ils remarquèrent des silhouettes se dirigeant vers eux, portant des torches qui brillaient faiblement dans l'obscurité naissante. Parmi ces ombres, le père de Julie, Alexandre Séguin, se distingua rapidement. Son visage s'illumina d'une lueur de reconnaissance en apercevant Louis. "Louis ! C'est toi !" s'exclama-t-il en s'approchant rapidement. Julie descendit du cheval avec l'aide de Louis, rejoignant son père avec soulagement.
"Père !" s'écria-t-elle, se laissant envelopper dans ses bras.
"Ma chère Julie, que t'est-il arrivé ? Es-tu blessée ?" demanda Alexandre, inquiet.
Julie secoua la tête. "Non, juste une migraine. Louis m'a secourue," répondit-elle, lançant un regard reconnaissant à Louis.
Alexandre se tourna vers Louis, lui exprimant sa gratitude. "Nous vous sommes infiniment reconnaissants, Louis. Vous avez sauvé ma fille," déclara-t-il sincèrement.
Louis inclina légèrement la tête. "Je n'ai fait que ce que tout homme devrait faire dans une telle situation. Je me considère chanceux d'avoir pu aider Mademoiselle Julie."
À ce moment-là, la mère de Julie, Marie, arriva en courant, le souffle court, criant le nom de sa fille. Elle se précipita vers Julie, la prenant dans ses bras avec tendresse.
"Ma chérie, es-tu blessée ? As-tu mal quelque part ?" demanda-t-elle, ses yeux scrutant le visage de sa fille avec inquiétude.
Julie secoua la tête, rassurant sa mère. "Non, mère, juste une migraine," répondit-elle doucement.
Marie remercia Louis d'un ton sec, mais Louis ne sembla pas affecté par son attitude. Il se tint simplement là, silencieux. Avant de partir, Alexandre remercia une nouvelle fois Louis.
"Nous ne pourrons jamais assez te remercier. Prend donc des provisions pour ton retour," dit-il en ordonnant à l'un de ses esclaves d'apporter de la nourriture à Louis.
Louis secoua la tête avec gratitude. "Je vous remercie, mais ce n'est pas nécessaire. Je vous suis déjà redevable pour votre bonté," déclara-t-il humblement en inclinant légèrement la tête . Alors que Julie, Alexandre et Marie s'éloignaient dans la nuit tombante, une tension palpable imprégnait l'air, comme si l'obscurité elle-même retenait son souffle dans l'attente de quelque chose d'important sur le point de se produire. Marie se retourna lentement, lançant à Louis un regard pesant. Ses yeux semblaient brûler d'une intensité inhabituelle, révélant des émotions cachées derrière son masque habituel de maîtrise. Ce dernier resta là, immobile et silencieux, les observant s'éloigner ... Dans ce climat de mystère, Julie brisa finalement le silence tendu.
"Mère, avez-vous quelque chose qui vous tracasse ?" demanda-t-elle, son ton empreint d'inquiétude. Marie répondit d'une voix crispée, presque trop rapidement pour être crédible.
"Non, ma chérie, tout va bien," assura-t-elle, mais ses mots semblaient porter le poids d'un secret inavoué, ajoutant une couche supplémentaire à cette nuit chargée d'émotions…
Chapitre 3: Entre les lignes
L'esprit encore tourmenté par les rencontres du jour, Louis regagna sa route.
Le cri lointain d'un hibou perçait le silence de la nuit, tandis que le grésillement des insectes remplissait l'air de leur symphonie nocturne. Les reflets argentés de la lune dansaient sur les feuilles des arbres sous le rythme du vent…. Les planches de bois rugueuses et vieilles formaient les murs de cette cabane, tandis que la toiture de paille sèche se dressait fièrement au-dessus. Elle semblait fusionner harmonieusement avec son environnement, comme si elle avait été là depuis toujours, témoignant silencieusement de l'histoire de ces lieux.
À l'intérieur, une natte usée gisait par terre, offrant un maigre confort à Louis. Ses contours épousaient les formes du sol, témoins muets des nombreuses nuits qu'il avait passées dessus, se débattant avec les démons de son esprit agité.
Épuisé , il s'allongea sur la natte. Alors que ses paupières commençaient à s'alourdir, un murmure s'éleva dans son esprit, comme un écho lointain. "Mange... mange..." susurrait une voix mystérieuse, résonnant dans les profondeurs de son être. Louis secoua la tête avec agitation, cherchant à repousser cette voix envoûtante qui semblait le hantait. Peu à peu, le sommeil le gagna, l'entraînant dans un monde de rêves et de visions. Il se retrouva sur une colline verdoyante, entouré par la tranquillité de la nature. L'herbe ondulait doucement sous la brise légère, tandis que le ciel se teintait de nuances pastel au crépuscule. Une voix familière, douce comme une brise d'été, le tira de sa torpeur.
Louis se retourna et vit une femme s'approchant de lui, sa silhouette se détachant dans le crépuscule. Elle portait des bracelets en or qui scintillaient à la lueur des étoiles, et ses cheveux étaient ornés de perles brillantes qui capturaient la lumière de la lune. Son cœur bondit à sa vue, une étrange sensation d'apaisement l'envahissant à mesure qu'elle s'approchait. "Nwa m," (Mon fils) murmura-t-elle, utilisant un terme qui semblait résonner dans les tréfonds de l'âme de Louis. Dans ce monde de rêve, la réalité semblait se fondre avec l'imaginaire, créant un tableau irréel mais profondément réconfortant. Louis se laissa bercer par la douceur de la nuit, savourant chaque instant de ce moment magique… …………………………………………………………………………………………………………………………………………………..
Chez les Séguin, une atmosphère d'inquiétude flottait dans l'air. Marie, la mère de Julie, ordonna à une servante de préparer un bain d'eau tiède pour sa fille.
"Vite, dépêche-toi, nous devons aider Julie," lança-t-elle d'une voix tremblante.
Julie entra dans la pièce, soutenue par son père Alexandre. Elle regardait la confusion qui régnait autour d'elle.
Marie s'approcha de sa fille, ses mains touchant son front avec précaution. "Julie, ma chérie, pourquoi es-tu si pâle ?" demanda-t-elle d'une voix empreinte d'inquiétude.
Julie: "Mère, nul besoin de vous affoler, c'était juste une chute de cheval...bon de jument dans mon cas. Je suis tombée et j'ai perdu connaissance...quelques instants."
Marie: "Mais ma chérie, tu es si pâle. Je ne suis pas convaincue que ce soit juste une chute. Tes yeux... ils me disent autre chose."
A ces mots, l’image de la rivière effleura l’esprit de Julie … sa respiration s'accéléra mais la migraine se fit sentir, l'obligeant à tenir sa tête d'une main.
"Ma chérie, es-tu blessée ailleurs ? Dois-je faire venir un médecin ?" demanda son père.
Julie secoua doucement la tête
"Non, père, ce ne sera pas nécessaire. Je n'ai besoin que de me reposer un peu," répondit-elle , cherchant à apaiser les craintes de ses parents.
Marie et Alexandre échangèrent un regard , le soulagement se mêlant à l'inquiétude.
"Bien, ma chérie. Nos servantes sont là si tu as besoin de quoi que ce soit," déclara Alexandre, sa voix empreinte de tendresse paternelle.
“Anne, accompagne Mademoiselle Julie pour son bain” dit Marie en s’adressant a une esclave avancé en age.
Julie se laissa guider par Anne, la servante, vers sa chambre, une pièce spacieuse imprégnée d'une ambiance d'antan. Les murs étaient ornés de tapisseries richement brodées, témoignant du raffinement et du luxe de la demeure. Des meubles en bois sombre, finement sculptés, occupaient l'espace, offrant à la pièce une atmosphère de noblesse et de confort. Avec l'aide d'Anne, Julie se débarrassa de ses vêtements, révélant la pâleur de sa peau sous le faible éclat des bougies. L'eau tiède coula dans la baignoire en fonte, remplissant la pièce de l'odeur douce et apaisante des herbes aromatiques ajoutées pour un effet relaxant. Julie glissa avec précaution dans la baignoire, la chaleur de l'eau enveloppant son corps fatigué d'une sensation réconfortante. Anne, experte dans son rôle de servante dévouée, prit une éponge douce et entreprit de laver délicatement le corps de Julie, éliminant les traces de poussière et de fatigue accumulées au cours de la journée. Julie sentit peu à peu une douce quiétude qui l'envahissait peu à peu.
Alors que l'eau tiède caressait sa peau et que les parfums enivrants chatouillaient ses sens, Julie se laissa emporter par la sensation de bien-être qui l'envahissait, oubliant pour un instant les tourments du monde extérieur. Après un moment de silence paisible, Julie s'adressa doucement à Anne
"Anne, pourriez-vous me laisser un moment seule? J'apprécierais de profiter de ce bain en solitaire," demanda-t-elle d'une voix douce mais ferme. Bercée par les murmures de l'eau et les douces senteurs qui flottaient dans l'air, Julie ferma les yeux et se questionna… Un affranchi ? instruit par son oncle… ce dernier étant un farouche défenseur de l’instruction aurait même appris à lire à un arbre s’il pouvait…
“Saint-Domingue…tu m’étonnes” dit-elle, et son visage arbora un sourire de satisfaction….
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“Et si c’était l’un de ces marrons qui l’avait retrouvée?”, dit Marie avec un regard remplit de peur.
“Remercions le ciel que ce fut Louis… nous n’avons pas de marrons dans nos parages vu que l’on traite nos esclaves différemment”, Alexandre, s’asseyant dans son fauteuil.
“Et tu ne doute pas de Louis je suppose? Comme d’habitude”, retorqua Marie
“Je tiens a vous faire le rappel, madame, que Louis est un affranchis et que J’EN ai pris la décision”
“Je n’arriverai pas a comprendre la raison de cette décision”, repondit Marie d’un ton moqueur.
“Tu connais déjà la raison… mais tu refuses toujours à l’accepter”, dit Alexandre.
Un silence s’installa et une muraille invisible semble s’ériger entre les deux. Alexandre tourna ses regards vers la fenêtre qui se trouva en face de lui, fixant au loin les plantations dont les tiges de canne-a-sucre balancaient comme une foule se baignant à la lueur de la lune. Marie, pour sa part, savait qu’il n’était pas nécessaire de poursuivre cette conversation, prit la direction de la chambre…
“Tâchons de rendre agréable le séjour de notre fille, elle n’a pas fait le trajet pour assister à nos querelles. Je monte me coucher” dit-elle en s’en allant, laissant Alexandre seul dans le salon. Pensif, il aurait voulu arreter le temps, juste pour jouir de cet instant de paix… il ferma les yeux et brusquement une voix grave résonna dans sa tête comme un coup de tonnerre :
“LIBERTÉ”
Chapitre 4 : Réveil et révélations
Les premiers rayons du soleil filtraient à travers les interstices de la cabane, projetant des éclats dorés sur les murs en bois vieilli. Louis ouvrit lentement les yeux, encore embrumé par le rêve qu’il venait de faire. Il resta immobile quelques instants, les paupières mi-closes, comme pour prolonger l’écho de la voix qui l'avait bercé. La douce brise du matin entra par la fenêtre ouverte, caressant son visage avec la même légèreté que le souffle de la femme dans son songe.
Il se redressa lentement, frottant ses yeux pour effacer les dernières traces de sommeil. Ses muscles étaient encore engourdis par la nuit passée sur la natte usée, mais il ne s’en plaignit pas. Chaque mouvement, aussi ordinaire qu’il fût, semblait chargé de sens ce matin-là. Louis s’étira doucement, prenant un moment pour se reconnecter à la réalité, tandis que les images du rêve défilaient encore dans son esprit. La silhouette de la femme, ses bracelets en or scintillants, sa voix douce résonnaient dans ses pensées. « Nwa m... », murmura-t-il dans un souffle à peine audible.
Il passa une main dans ses cheveux noirs, encore en bataille, et se leva. Chaque geste qu'il posait, chaque pas qu'il faisait, semblait empreint de la tranquillité qui régnait dans la nature autour de lui. Le chant des oiseaux du matin remplaçait la symphonie nocturne des insectes. Louis s’habilla rapidement, glissant ses pieds dans ses vieilles bottes en cuir usé, et sortit de la cabane.
L’air frais du matin lui fit du bien. Il inspira profondément, savourant cette sensation de renouveau qu’apportait la brise matinale. Son regard se posa sur la rivière, non loin de là, où il avait pris l’habitude de se rendre chaque jour. Alors qu’il marchait, le sol humide sous ses pieds, ses pensées se tournèrent vers Julie. Un sourire léger, presque imperceptible, se dessina au coin de ses lèvres. « Julie... », soupira-t-il, sans même s’en rendre compte.
Au même moment, dans sa chambre, Julie ouvrit brusquement les yeux. Son cœur battait à un rythme effréné, comme si quelque chose l’avait troublée dans son sommeil. Elle se redressa dans son lit, une main posée sur sa poitrine, cherchant à calmer son souffle. Sans raison apparente, le nom de Louis lui vint à l’esprit. Elle fronça légèrement les sourcils, surprise par cette soudaine pensée, puis secoua la tête comme pour la chasser.
"Pourquoi pense-je à lui...?" murmura-t-elle pour elle-même, son esprit encore flottant entre le rêve et la réalité.
Se levant avec précaution, elle se dirigea vers la grande fenêtre de sa chambre, observant la lumière douce du matin envahir peu à peu la propriété. Le souvenir de sa chute de cheval était encore frais, mais quelque chose d'autre l'inquiétait davantage. Après s’être habillée, Julie décida de descendre vers le salon. Elle voulait des réponses.
Marie était assise dans le grand salon, feuilletant un livre de prières, lorsqu’elle entendit les pas de sa fille dans le couloir. Levant les yeux, elle esquissa un sourire en voyant Julie entrer dans la pièce.
« Bonjour, ma chérie », dit Marie doucement. « Comment te sens-tu ce matin ? »
Julie répondit avec un sourire poli et s'approcha de sa mère pour l'embrasser sur la joue. « Je vais beaucoup mieux, merci, mère. »
Après quelques instants d'hésitation, Julie osa poser la question qui la tourmentait. « Mère, est-ce que Louis travaille pour père ? »
Un léger malaise passa brièvement sur le visage de Marie. Ses yeux trahirent une fraction de gêne avant qu'elle ne se ressaisisse. Elle referma lentement le livre de prières avant de répondre.
« Louis... oui, travaillais pour nous. Il a été acheté par ton père il y a 6 ans de cela. Comme tu connais ton oncle, c'est un homme qui croyait en l'instruction de tous, même des esclaves. Bien que ses aptitudes montraient qu'il avait reçu une instruction, Louis a appris à lire, écrire notre langue assez rapidement je dirais et...bien d'autres choses... » Marie parla d’un ton détaché, comme si elle récitait des faits qu’elle préférait ignorer.
Julie hocha lentement la tête, absorbant ces informations. « Et comment a-t-il été affranchi ? » demanda-t-elle, curieuse de comprendre cette décision inhabituelle.
Marie marqua une pause, ses yeux se durcirent légèrement. Elle lâcha un rire sec, presque moqueur. « Cela, ma chère, c'est une question à poser à ton père. Il t’expliquera mieux que moi. »
Julie sentit la tension monter. Il était clair que sa mère n'avait pas envie de poursuivre la conversation à ce sujet. Marie se leva brusquement, changeant habilement de sujet.
« Dis-moi, ma fille, comment vont les choses à Paris ? Cela fait si longtemps que tu es partie. Que racontent les salons là-bas ? » demanda-t-elle, essayant de masquer son malaise.
Julie comprit que sa mère souhaitait éviter toute discussion sur Louis. Elle décida de ne pas insister et répondit volontiers à la nouvelle question. « Paris reste la même ville effervescente... Les conversations dans les salons sont toujours remplies de politique, de philosophie et de littérature. J’ai rencontré beaucoup de gens fascinants, et certains événements récents en France sont sur toutes les lèvres. »
Les deux femmes échangèrent des paroles légères, évoquant les dernières modes, les fêtes fastueuses, et les intrigues des élites parisiennes. Julie parlait avec animation, heureuse de partager ses souvenirs de la capitale, tandis que sa mère semblait s'apaiser en écoutant ces récits lointains.
La porte du salon s’ouvrit soudainement, et Alexandre, le père de Julie, entra avec un sourire radieux. Ses yeux s'illuminèrent en voyant sa fille debout, avec meilleure mine.
« Ma chère Julie, quel bonheur de te voir en si bonne forme ce matin ! » s'exclama-t-il, s'approchant pour l’embrasser sur le front.
Julie lui sourit chaleureusement. « Merci, père. Je me sens déjà beaucoup mieux. »
Alexandre, visiblement soulagé, laissa échapper un soupir et se tourna vers sa femme, puis de nouveau vers sa fille. « Que dirais-tu d'une promenade dans la propriété cet après-midi ? Cela te fera le plus grand bien. Nous pourrons marcher ensemble, admirer les plantations, et discuter. »
Julie hocha la tête avec enthousiasme. « Avec plaisir, père. Une promenade me fera le plus grand bien. »
Le soleil de l’après-midi baignait la propriété des Séguin d’une lumière dorée, tandis que les feuilles des arbres bruissaient sous la douce brise. Elle n’avait jamais vraiment prêté attention à l’étendue des terres, ni à la diversité des cultures qui s’y trouvaient. Alexandre remarqua son regard interrogatif et, avec fierté, entreprit de raconter l'histoire de leur domaine.
« Tu sais, cette propriété est le fruit de plusieurs années de labeur. Nous y cultivons principalement du café, de la canne à sucre et du coton. Le café est prisé en Europe, surtout à Paris, et la canne à sucre est le pilier de notre économie. » Il marqua une pause, jetant un coup d’œil sur les vastes champs de canne qui ondulaient sous la lumière du soleil.
« Quant aux esclaves... » Alexandre reprit après une hésitation. « J’essaie de les traiter du mieux que je peux, bien mieux que certains de nos voisins. Je leur donne de la nourriture, un toit... mais je sais que ce n’est jamais suffisant pour eux. Pourtant, je tiens à ce qu’ils soient bien traités, car ce sont eux qui font vivre cette propriété. » Son ton trahissait une certaine culpabilité, bien qu’il essayât de paraître juste.
Julie l'écoutait en silence, absorbée par les révélations de son père. Après un moment de réflexion, elle se tourna vers lui, sa voix douce mais déterminée.
« Père... pouvez-vous me parler de Louis ? Qui est-il vraiment ? »
Le visage d’Alexandre se figea légèrement. Il semblait hésiter, cherchant ses mots avec soin. « Louis... » commença-t-il, son ton devenu soudainement anxieux, « il est spécial, ma fille. Très spécial. Je l'ai acheté il y a plusieurs années, mais c’était différent des autres esclaves. Il n’était pas comme les autres... Il avait quelque chose en lui, une force, une dignité... »
Julie attendait la suite avec impatience, son regard fixé sur son père, prête à en savoir plus.
« Ce jour-là... » continua Alexandre, les yeux perdus dans le lointain. « Louis refusait de se faire fouetter. Il se tenait droit, sans crainte, malgré la menace de la douleur. Il y avait une allure de prince en lui, une fierté que je n’avais pas vue chez les autres esclaves. C’est pour cela que je l’ai nommé Louis, en l’honneur de la royauté qui semblait couler dans ses veines. »
Julie restait silencieuse, absorbée par le récit.
« Mais il y a plus que cela, Julie... » Alexandre marqua une pause, le ton devenu grave. « Louis m’a sauvé la vie. »
À ces mots, Julie se redressa, son cœur battant plus vite. « Il vous a sauvé la vie ? Comment ? »
Alexandre secoua doucement la tête, son visage se fermant. « Ce sera pour une autre fois, ma fille. »
Julie sentit une vague de frustration monter en elle, mais elle respecta la volonté de son père. Ils continuèrent leur promenade en silence, chacun perdu dans ses pensées. Le soleil commençait à descendre à l’horizon, teintant le ciel de nuances rosées, et après un moment, ils décidèrent de retourner à la maison.
Julie monta directement dans sa chambre après la promenade. Elle s’assit sur le rebord de la grande fenêtre, la tête appuyée contre la vitre, observant la forêt qui s'étendait au loin. Les arbres se balançaient doucement sous le vent, et la lumière du crépuscule enveloppait la scène d’une atmosphère paisible, presque irréelle. Son esprit vagabondait, et ses pensées se tournaient inévitablement vers Louis.
« Que fait-il en ce moment ? » murmura-t-elle pour elle-même, perdue dans les méandres de ses réflexions. Elle se surprit à penser à lui plus qu’elle ne l’aurait voulu, une étrange fascination l'envahissant.
Non loin de là, la rivière serpentait entre les arbres, ses eaux cristallines scintillant sous les derniers rayons du soleil. Le grésillement des insectes nocturnes commençait à emplir l'air, ajoutant une mélodie familière à l’ambiance sereine de la nature.
Au milieu de la rivière, Louis flottait paisiblement, son corps relâché, presque immobile. L’eau enveloppait sa silhouette d’une douceur apaisante, comme si elle cherchait à le bercer dans un sommeil profond. Ses bras étendus de chaque côté, il paraissait en parfaite harmonie avec les éléments. Ses muscles détendus donnaient l'impression qu'il dormait, totalement abandonné au courant léger de la rivière.
Mais soudain, un frisson parcourut l'eau. Ses yeux, jusqu'alors clos, s'ouvrirent brusquement. Un silence lourd sembla s’abattre sur la scène.
Ses pupilles étaient entièrement blanches, retournées vers l'intérieur de ses orbites, ne laissant apparaître que le blanc éclatant de ses yeux. Il restait figé, immobile, comme si un pouvoir mystérieux s'était emparé de lui.
Chapitre 5 : Soupirs et murmures
Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque Louis se réveilla. Ses yeux s’ouvrirent doucement, encore assombris par les images du rêve étrange qui l’avait habité durant la nuit. Ce n’était pas la première fois qu’il rêvait d’un lieu mystérieux, où l’eau semblait l’appeler. Il se redressa lentement sur son lit de fortune et regarda par la fenêtre, l’air pensif. Ce n’était pas de Julie qu’il pensait aujourd’hui, mais plutôt à ce qui s'était passé hier à la rivière.
Il se leva, enfila ses vêtements rapidement et sortit de la petite cabane où il logeait. L’air frais du matin l'accueillit, mais une question lourde flottait dans son esprit : pourquoi se sentait-il si bien quand il entrait en contact avec l'eau ? C’était comme si une force inconnue l’entourait, une énergie à la fois apaisante et perturbante.
En marchant vers la rivière, son malaise grandissait. Soudain, une vive migraine lui traversa la tête, le forçant à s’arrêter. Instinctivement, il porta la main à sa tempe, là où une vieille cicatrice se trouvait. Les souvenirs de cet endroit, du moment où il avait été marqué, lui revenaient par vagues, mais ils restaient flous et fragmentés. Il secoua la tête pour chasser la douleur et poursuivit son chemin, les pieds lourds, vers la rivière.
Pendant ce temps, dans la maison principale, Marie, la mère de Julie, se trouvait sur le balcon de sa chambre. Le vent doux caressait ses cheveux alors qu’elle laissait son esprit vagabonder, profitant du calme rare de la matinée. Elle ferma les yeux, se laissant emporter par ses pensées. Un murmure sembla flotter dans l’air, une voix douce qui lui disait : « Respirez, madame... doucement... ». Un sourire effleura ses lèvres, un moment de pur plaisir et de relâchement.
Mais ce moment fut brusquement interrompu par l’arrivée d’Alexandre, son mari. À peine sentit-elle sa présence que son corps entier se raidit, son humeur changeant instantanément. La tranquillité fit place à une irritation subtile, une contrariété qu’elle ne pouvait cacher.
« Bonjour, Marie », dit Alexandre d’un ton calme.
« Bonjour », répondit-elle sèchement, sans ouvrir les yeux.
Alexandre s’approcha du balcon et contempla la propriété avec un air grave. « Il faudra bientôt organiser la prochaine expédition pour la France. Le café, la canne à sucre et le coton sont prêts. »
Marie hocha la tête distraitement. « Oui, bien sûr. Je me chargerai de superviser les derniers détails. »
Un silence pesant s’installa entre eux, puis Alexandre tenta de poursuivre : « Nous avons bien traité les esclaves, Marie. Ils ne manqueront de rien durant cette expédition. »
Marie ouvrit les yeux et, après un moment, soupira. « Je n’ai jamais douté de ton engagement à ce sujet. Mais parfois, Alexandre, il me semble que tu es ailleurs... » Elle se détourna de lui et fit mine de retourner à l’intérieur. « Je vais m’occuper de la maison. »
Alexandre la regarda s’éloigner avec tristesse. Il était fatigué, épuisé par des responsabilités sans fin, mais plus encore par cette distance grandissante entre eux. Son regard se perdit dans le vide alors que Marie disparaissait à l’intérieur, laissant un vide derrière elle, aussi bien sur le balcon que dans son cœur.
Plus tard dans la journée, Julie se trouvait dans la grande bibliothèque de la maison. Elle aimait cet endroit, rempli de livres venus des quatre coins du monde. Mais aujourd’hui, elle ne cherchait pas seulement à se perdre dans une nouvelle histoire. Ses doigts s’arrêtèrent sur une reliure particulière : La Divine Comédie de Dante Alighieri. Un sourire éclaira son visage. Cela faisait si longtemps qu’elle voulait lire cette œuvre.
Elle tira délicatement le livre de l’étagère, mais quelque chose en glissa : des feuilles volantes tombèrent au sol. Surprise, elle se pencha pour les ramasser et constata que certaines étaient signées par son oncle, le prêtre Clément. La curiosité la poussa à les lire. Rapidement, elle découvrit que son oncle parlait de son arrivée à Saint-Domingue et d’un certain jeune garçon nommé Louis. Le cœur de Julie s’emballa. Son instinct lui soufflait qu’il s’agissait bien de son Louis.
Alors qu’elle réfléchissait à ce qu’elle venait de lire, elle tenta de ranger les feuilles dans le livre, mais fut interrompue par des pas derrière elle. Elle sursauta et se retourna pour voir son père entrer dans la bibliothèque.
« Que fais-tu là, ma fille ? » demanda Alexandre avec un sourire bienveillant.
Julie se redressa précipitamment. « Oh, rien de spécial, père. Je regardais Les livres. »
Alexandre haussa un sourcil. « Ce livre n’est-il pas un peu trop complexe pour toi ? » en pointant son doigt vers La Divine comédie que Julie voulait dissimuler
Julie fronça les sourcils légèrement. « Père, je ne suis plus une enfant. Je pense que je peux comprendre Dante. »
Alexandre observa sa fille avec amusement avant de hocher la tête. « Tu as raison, ma fille. Que ta lecture t’enrichisse, alors. Mais ne te couche pas trop tard. »
Julie sourit et hocha la tête. « Bonne nuit, père. »
Elle quitta rapidement la pièce, les feuilles cachées dans le livre. Elle savait qu’elle devait en apprendre plus sur ce que son oncle avait écrit à propos de Louis, mais pour l’instant, elle garderait cela pour elle.
Le lendemain matin, Julie descendit pour rejoindre ses parents au déjeuner. Après les salutations d’usage, Alexandre se tourna vers elle, intrigué.
« Alors, ma fille, as-tu commencé La Divine Comédie hier soir ? Comment trouves-tu cette lecture ? »
Julie, coupant un morceau de pain, répondit d’un ton détaché. « Oui, père, j’ai commencé. C’est une œuvre fascinante. »
Alexandre sourit, un peu moqueur.
Julie rétorqua immédiatement : « Je ne suis plus une enfant, père. J’ai appris beaucoup de choses à Paris. »
Sa mère, Marie, éclata de rire. « Oh, Alexandre, notre petite Julie n’est plus une fillette. »
Alexandre haussa les épaules en souriant. « Très bien, très bien. »
Le déjeuner se termina rapidement, et après un dernier café, Alexandre annonça qu’il devait se rendre en ville pour affaires. Marie, quant à elle, se dirigea vers la cuisine pour superviser le travail des domestiques, tandis que Julie décida de se promener dans la propriété.
« N’oublie pas de ne pas quitter la propriété, » rappela Marie.
Julie lui répondit avec un sourire innocent, mais intérieurement, elle avait déjà pris une décision : elle retournerait à la rivière.
En arrivant près de la rivière, Julie observa les environs avec espoir, mais Louis n’était pas là. Déçue, elle s’assit sous un grand arbre, sortit La Divine Comédie, et commença à lire à voix haute un passage qui la touchait particulièrement.
« Au milieu du chemin de notre vie, Je me retrouvai par une forêt obscure, Car la voie droite était perdue. »
Sa voix douce résonnait dans l’air tranquille. Soudain, une autre voix, grave et familière, répéta les mêmes vers.
Le cœur de Julie se mit à battre plus fort. Elle leva les yeux, et là, assis sur une branche au-dessus d’elle, se trouvait Louis, la regardant calmement, un léger sourire aux lèvres.
« Bonjour, Julie, » dit-il doucement.
Chapitre 6: Respirez, madame...
Il descendit doucement de la branche, resta silencieux un instant, debout face à Julie, comme s'il pesait soigneusement ses mots.son regard rivé sur elle. Julie sentit son cœur battre plus fort, troublée non seulement par la surprise de sa présence mais aussi par la manière dont il semblait si à l’aise dans cet environnement.
"Je ne t'attendais pas ici," dit-elle, tentant de retrouver un ton calme malgré l'émotion qui l'étreignait.
Louis ne répondit pas immédiatement. Il s’assit près d’elle, son regard perdu dans les reflets de la rivière. "Je viens souvent ici...." Sa voix était douce, presque distante.
Julie ne savait pas comment poursuivre la conversation, mais elle sentait qu'il y avait quelque chose de non-dit, quelque chose de profond chez Louis. "Tu sembles si... calme quand tu es ici," dit-elle après un moment.
Louis esquissa un sourire, mais ce sourire ne montait pas vraiment jusqu'à ses yeux. "C’est ici que je me sens vraiment... moi-même. Quand je suis en pleine nature, tout devient plus simple. Les bruits des hommes disparaissent... Je me retrouve face à moi-même. C’est à la fois terrifiant et apaisant."
Julie était captivée par ses paroles. Elle n'avait jamais entendu quelqu'un parler de cette manière, surtout pas un homme comme Louis, dont elle savait si peu. "Et tu sembles aimer l'eau, pas vrai ?" demanda-t-elle, le ton plus doux, presque hésitant.
Louis détourna légèrement les yeux, comme s'il cherchait les mots justes. "L’eau... c’est autre chose. Quand je touche l'eau, c'est comme si... elle me reconnaissait. C’est difficile à expliquer. Il y a une connexion, un apaisement, quelque chose qui me lave, pas seulement physiquement, mais... ici," dit-il en pointant son cœur d’un geste discret.
Un silence s'installa, où seules les feuilles bruissantes et le clapotis de l’eau rythmaient l’atmosphère. Julie ne savait pas quoi répondre, mais elle sentait que Louis venait de dévoiler quelque chose de très intime, même s’il n’avait pas tout dit.
Ils restèrent ainsi quelques instants avant que Louis ne porte une main à sa tempe, grimaçant légèrement. Julie remarqua alors une fine cicatrice. Intriguée, elle demanda d’un ton hésitant, "Qu’est-ce qui t’est arrivé ?"
Louis baissa la tête, touchant doucement la cicatrice, comme s'il tentait de se souvenir. "Je l’ai toujours eue, aussi loin que je me souvienne. Parfois elle me fait mal, parfois... c’est comme si elle contenait un souvenir que je n'arrive pas à atteindre."
Julie voulut en savoir plus, mais elle ressentit la gêne de Louis et n’insista pas davantage. Ce mystère autour de lui l'intriguait de plus en plus, mais elle respecta ce silence.
Leur moment de tranquillité fut interrompu par un bruit de pas sur le sentier. Un domestique apparut, cherchant visiblement quelqu’un. Julie se leva précipitamment, son cœur battant encore sous l'émotion.
"Je dois rentrer," dit-elle rapidement.
Louis hocha simplement la tête, toujours aussi calme. "Fais attention sur le chemin, Julie."
Elle s’éloigna, mais ses pensées restèrent tournées vers lui, tandis qu’elle regagnait la maison.
Le soir venu, Julie s’assit à table avec son père, Alexandre, qui semblait de bonne humeur après une journée productive en ville. Pendant le repas, ils discutèrent des affaires de la plantation, notamment de la vente récente de café et de canne à sucre.
"La vente a bien été conclue," dit Alexandre avec un sourire satisfait. "Les affaires se portent bien, et si tout continue ainsi, nous pourrons élargir nos exportations vers la France."
Julie hocha la tête, distraite par ses propres pensées. Elle se souvenait de leurs années passées en France, et cette mention éveilla en elle un flot de souvenirs. "Ça me rappelle nos promenades près de la Seine," dit-elle soudain. "Nous allions souvent voir ces bateaux chargés de marchandises, et tu me racontais comment chaque produit traversait l'océan."
Alexandre sourit, son regard se perdant un instant dans le passé. "Oui, c'était une belle époque. La France a son charme, mais ici... c’est chez nous, Julie."
Un silence s’installa de nouveau, plus doux cette fois. Julie, brisant l'instant, demanda, "Où est maman ? Je ne l’ai pas vue depuis que je suis rentrée."
Une domestique qui se tenait près de la table s’approcha et répondit d’un ton respectueux, "Madame est montée se coucher, mademoiselle. Elle avait une journée fatiguante."
Julie acquiesça, et après quelques échanges supplémentaires avec son père, elle décida de rejoindre sa chambre. Alexandre, quant à lui, resta à table, savourant un dernier verre de vin avant de monter à son tour.
Dans sa chambre, Marie se tenait près de la fenêtre, le regard perdu dans la forêt qui bordait la propriété. Vêtue d’une chemise de nuit si fine qu’elle révélait les courbes de son corps nu, elle laissait le vent s’engouffrer par la fenêtre ouverte. La brise légère glissait doucement sur sa peau, comme une caresse intime, lui rappelant des sensations oubliées.
Elle ferma les yeux, savourant ce contact éthéré, ses lèvres s’entrouvrant légèrement sous le plaisir que lui procurait ce moment de solitude. Puis, comme sorti d’un rêve, elle entendit un murmure, à peine audible, résonner dans son esprit. "Respirez, madame... doucement."
Le souffle du vent sembla se synchroniser avec sa respiration, chaque brise venant effleurer son visage, son cou, et glissant jusqu’à ses cuisses. Elle se laissa aller à cet instant, ses mains caressant lentement les bras du fauteuil près d’elle. Elle s’assit en califourchon sur l’accoudoir, s’y installant comme si elle montait un cheval, puis, les yeux toujours fermés, elle commença à se balancer doucement, chevauchant ce meuble avec une lenteur calculée.
Le souvenir de mains masculines tenant sa taille lui traversa l’esprit, et son mouvement s’accéléra, son souffle devenant plus rapide. Son corps se tendait sous l'intensité du plaisir, et elle se mordit les lèvres, tentant de réprimer un cri. Son gémissement resta enfermé dans le silence de la chambre, mais son âme vibrait de cette libération. Elle continua ainsi, perdue dans cette danse solitaire, jusqu’à ce que le désir atteigne son apogée.
Puis, brusquement, elle s’arrêta. Son corps se relâcha, happant l’air comme si elle sortait d’une longue apnée. Essoufflée, en sueur, mais sereine, elle s’étala dans le fauteuil, un sourire satisfait flottant sur ses lèvres. Le vent, toujours aussi doux, caressa son visage, suivant le rythme de sa respiration, avant de descendre entre ses jambes, où, doucement, coulait le fruit de cette intime évasion.
